ENTRE SES MAINS
(2005)
de Anne Fontaine

Film psychologique flirtant avec le thriller américain, Entre ses mains est bien le cas atypique du film français à fort potentiel, ayant su se défaire des codes propres au paysage de production cinématographique français, largement dominé par les comédies et comédies dramatiques. Et, un peu à la manière d’Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), envisage-t-on ce film comme un possible outsider qui pourrait ravir une belle place au box office en imposant sa différence. Différence qu’il impose d’emblée à travers un synopsis alléchant.
Touché par un grave dégât des eaux, Laurent, un sympathique vétérinaire d’âge mûr, se rend rapporter sa situation à son assurance. A la place de l’agent asocial et incompréhensif, il tombe alors face à Claire, une charmante jeune femme qui, malgré un contrat contraignant lui arrange une belle indemnité. Un geste qui ne sera pas sans toucher le cœur du quadragénaire, d’autant que les rendez-vous se succèdent, creusant toujours un peu plus dans l’intimité de chacun vers une relation qui ne cessera de devenir de plus en plus sérieuse …
Cette histoire révélerait d’une banalité digne d’un téléfilm M6 diffusé un dimanche après-midi, mais ce serait sans compter sur un contexte des plus inattendus. Au sein de la métropole lilloise où se déroule le récit sévit effectivement un serial killer égorgeant ses victimes féminines au scalpel. Un scalpel ? Laurent en a une pléthore. Des femmes assassinées ? Il vit seul et ses rapports avec le beau sexe sont assez limités. Certes, il en faudrait plus pour suspecter ce personnage, pourtant c’est ce que le scénario tend progressivement à démontrer … Mais qu’importe pour Claire qui continue malgré tout à fréquenter Laurent. Situation inconfortable donc, d’autant que la jeune femme est mariée et mère d’une petite fille.

Le scénario dévoile donc une bonne complexité qui trouve essentiellement son origine dans les rapports psychologiques qu’échangent les différents protagonistes et de quelle façon ils évoluent. Et au terme de cette évolution les conclusions se révèlent plutôt intéressantes, puisque très peu de différences sont finalement émises à travers la représentation desdits « sains » et « malades. » Appuyé par une approche réaliste très correcte, on se met à croire à cette progression des sentiments complexes, parfois mêmes contradictoires. Seul le postulat de base qui suppose qu’une mère de famille puisse initier une relation extra-conjugale si particulière (on se serait en effet plus attendu à ce que ce soit Laurent qui fasse le premier pas) est un peu tiré par les cheveux. En tout cas, on remarque aisément par là que l’auteur est une femme, ce qui apporte une bouffée d’air pur dans cette situation où les femmes peuvent elles aussi se permettre quelques folies (si, si, c’est possible …)
Certes, le scénario ne souffre pas moins d’une ambiguïté néfaste dans la description des personnages. Comme dit précedemment, le meurtrier n’est pas connu mais clairement montré du doigt, et c’est bien là le problème. De là, rien n’empêche en effet au spectateur de se questionner sur l’identité du serial-killer, voire, à la manière d’un Scream (1996), s’imaginer les cas les plus tordus. Et il est vrai que pendant une bonne partie du film, rien n’empêche concrètement de suspecter Claire ou son mari, ou pourquoi pas sa mère tant qu’on y est … Ainsi passe-t-on à côté des véritables enjeux du film, et on se demande s’il n’aurait pas été préférable de positionner d’emblée les différents protagonistes dans des « cases » bien définies pour ensuite les faire évoluer. Quoique…


Quoiqu’on ne regrette finalement pas d’être baladé sur de fausses pistes de surcroît inexistantes parce qu’au moins cela occupe. Oui, il faut bien l’avouer : ce film déploie une simplicité naïve qui ne peut que décevoir et se révèle de plus d’un classicisme barbant. En effet, dans le même registre, mieux vaut-il se regarder Henry, Portrait d’un serial-killer (1986), ou bien encore l’anti-conventionnel C’est arrivé près de chez vous (1992) où déjà Benoît Poelvoorde arbore un jeu finalement assez proche de celui qu’il produit à travers Entre ses mains, un jeu précis et de qualité pour ainsi dire.
Loin des gaudrioles qui l’ont fait connaître au grand public français (mais qui n’ont pas forcément bénéficié à son image, selon moi), l’acteur semble avoir fait preuve d’un réel effort d’identification à son personnage. Donnant brillamment la réplique à une Isabelle Carré tout autant investie, le jeu d’acteur relève le tout, mais il en faudrait un peu plus pour combler les longueurs malvenues et autres raccords abruptes, signes d’une réalisation pas vraiment soignée. On se demande alors bien ce qui a pu arriver à Anne Fontaine, la réalisatrice de Nettoyage à Sec (1997), film dérangeant qui avait fait parler de lui à l’époque où il est sorti. Une époque bien lointaine semble-t-il …

Salaryman

Réalisatrice : Anne Fontaine
Acteurs : Benoît Poelvoorde, Isabelle Carré, Jonathan Zaccai …
Scénario : Anne Fontaine, Julien Boivent
Directeur photo : Denis Lenoir