APPLESEED
(2004)
de Shinji Aramaki

Alors qu'on s'attendait à une (trop) habituelle sortie en DVD, l'éditeur Kaze nous fit la belle surprise d'annoncer il y a quelques mois la sortie d'une de ses plus importantes licences, Appleseed , dans les salles obscures françaises. Sorti le 30 août dernier, c'est donc sur les chapeaux de roue que la japanime fit sa rentrée au ciné, avec un film qui ne se fait lui aussi pas prier pour démarrer à 100 à l'heure.

Pas plus d'une minute n'est en effet consacrée à la description du lieu sur lequel ouvre l'introduction, et ce dans un silence absolu. Mais la tension se fait présente dès lors qu'on découvre quelques soldats se préparer à une attaque, qui aussitôt amorcée impose destruction massive, acrobaties de haute voltige et course-poursuite dynamitée. Le tout soutenu par quelques bullet time finement placés et une musique breakbeat plutôt efficace, c'est à une puissante entrée en matière auquel nous avons droit. Tant bien que mal, l'attention du spectateur est ainsi forcée bien qu'on puisse un peu regretter le manque de précisions apportées préalablement à cette introduction. Du coup, malgré une focalisation clairement portée sur une jeune héroïne à laquelle on s'identifie, ce qui évite la confusion la plus totale, on ne sait pas pourquoi et contre qui elle se bat.

Mais les éclaircissements ne tarderont pas à définir l'univers très particulier qui fait la force du film. Adaptation des deux premiers tomes du manga éponyme de Masamune Shirow, Appleseed est resté longtemps dans l'ombre de Ghost in the Shell (du même auteur) en Occident, bien qu'il révèle tout autant le génie de cet écrivain visionnaire.

Nous sommes en 2131, époque où la Troisième Guerre mondiale a ravagé le monde entier. Toutefois, coupé de tous moyens de communications, des soldats continuent la lutte qu'ils ne savent pas terminée. C'est le cas pour Deunan Knute, cette jeune femme suivie lors de la bataille d'introduction. Une bataille qui tourne d'ailleurs très mal pour celle-ci puisqu'elle se retrouve vite encerclée par l'armée adverse. Se résignant déjà à mourir, elle se voit toutefois sauvée par une tierce armée, inconnue à sa connaissance et pourtant chargée de venir la récupérer. Et c'est à partir de là que le scénario dégage toute sa saveur …

A la suite des immenses dégâts causés par le dernier conflit mondial, l'Homme a été jugé inapte à se diriger par lui-même. Pour éviter une nouvelle catastrophe, les notions de peuple et de nations ont été abolis. Désormais, il revient à un seule entité de gérer les conflits à travers le monde. Il s'agit d'Olympus, ville idéale, dont le droit d'entrée est réservé à l'Elite humaine mais aussi à une nouvelle espèce, les bioroïds, une pure création génétique. Les bioroïds n'ont ni désirs ni passions. Tous leurs sentiments ont été volontairement limités pour réguler les excès hormonaux de leurs créateurs. En contrepartie jouissent-ils de capacités physiques et intellectuelles nettement supérieures à ces derniers afin d'accomplir leur tache.

Ainsi Deunan découvre-t-elle les traits de la cohabitation harmonieuse qu'est Olympus, et dont elle assure désormais la sécurité. Recrutée dans la prestigieuse E.S.W.A.T., la jeune femme reprend du service auprès de Briareos, son ancien compagnon d'arme et amant, désormais méconnaissable sous la lourde cuirasse robotisée qui assiste son corps gravement meurtri. Tous deux devront-ils alors faire front à une vague d'actes terroristes, les premiers dans l'histoire de ce havre de paix. Ce sont les stocks de régénération des bioroïds qui en ont été la cible, ce qui marque l'extinction de ces êtres pourtant immortels mais à condition d'une maintenance fréquente. Les soupçons s'orientent logiquement vers l'armée régulière (qui n'existe pas dans le manga) menée par le général Uranus, connu pour ses positions anti-bioroids. Mais la réalité est–elle aussi simple ? Dans tous les cas, poursuivie par une puissance obscure qui en veut à sa vie, Deunan et son co-équipier se retrouvent au cœur d'une enquête qui révélera les côtés peu enviables d'Olympus.

Le décor ainsi planté, on ne peut s'empêcher de s'extasier devant la densité du récit. De plus, la narration du scénario réalise une prouesse en parvenant à nous faire parvenir toutes ses informations dans la plus grande logique et la plus impressionnante clarté. Mais ce qui est le gros point fort du film en devient peut être finalement le plus important défaut par la suite. En perte de rythme, on se demande si finalement les scénaristes n'ont pas privilégié la lisibilité à la complexité. Et du coup, la fin déçoit beaucoup et n'innove pas franchement (on peut d'ailleurs y distinguer un côté I-Robot certain.) Aussi, l'intensité dramatique n'évolue pas, d'autant que les conclusions des idéologies des différents protagonistes prennent des raccourcis maladroits et ne creusent pas franchement les pistes philosophiques qu'elles installaient précédemment. Sans parler du message du film, exposé clairement sous forme de morale en dernière phrase, plutôt douteux.

Certes, si la déception est si forte c'est aussi parce qu' Appleseed comporte des qualités indéniables et nombreuses que l'on aurait bien aimé mieux se concrétiser. A commencer par le carachter et le mecha-design qui parviennent à remettre au goût du jour les dessins cyber-punk de Masamune Shirow. Ainsi, d'un trait foisonnant digne de l'auteur passe-t-on à des formes claires et simples qui conserve toutefois en bonne partie le graphisme original (Deunan en est le meilleur exemple). Privilégiant le dessin net et précis, le réalisateur Shinji Aramaki a fait appel aux nouvelles technologies avec une technique dérivée du désormais célèbre « cell-shading » appelée « toon-shading. »

Nous n'avons pas ainsi à faire à un dessin animé au sens propre du terme, mais à un film d'animation en images de synthèses, ces dernières imitant les techniques de dessin traditionnel avec un rendu plus propre et régulier. C'est d'ailleurs très flagrant dans l'animation qui, réalisée en motion capture, permet des mouvements incroyablement naturels, mis à part pour quelques « figurants. » Quant au rendu graphique, il surprendra peut être les non-initiés par le côté un peu lisse des textures. Mais après tout, dans un monde tant artificiel qu'est Olympus, quel plus digne représentation ! Toutefois, ce que la technique gagne en animation, elle le perd en travail de lumière et les incrustations des personnages dans leur environnement peut parfois laisser à désirer, notamment dans l'obscurité. Mais ce défaut passe plutôt inaperçu tant le film baigne sous un soleil radieux.

Enfin, côté bande son, la V.F. comporte un doublage d'une grande qualité qui n'a pas à rougir des productions Disney. On voit que Kaze n'a pas lésiné sur les moyens d'autant que la distribution des copies est loin de se cantonner au simple réseau Art et Essai habitué aux VOST. Quant à la musique originale, elle navigue finement entre tubes électro européen (Bassement Jaxx, Paul Oakenfeld …) et partition originale des Boom Boom Satellites, cette dernière s'essoufflant malheureusement au cours du film. Décidément …

N.B. : Le deuxième opus est déjà en cours de production ! Alors espérons que tous ces petits défauts soient réglés, car dans ce cas, nous aurons droit à un pur chef-d'œuvre …

Titre original : Appurushîdo
Avec les voix (japonaises) de Ai Kobayashi, Jûrôta Kosugi, Yuki Matsuoka …
Scénario : Haruka Handa et Kamishiro Tsutomu, d'après l'oeuvre de Masamune Shirow